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Je repense à cette semaine, assis près du feu

Mardi, dans l’avion entre Bangkok et Delhi, j’ai été surpris par le ton d’un Indien qui parlait très fort et très mal à une hôtesse de l’air. Il demandait à être servi avant les autres. J’étais surpris car je m’étais habitué au ton plus calme des Thaïs. Mercredi matin, j’ai visité un peu Delhi. Plus je découvrais de nouveaux lieux, plus je me disais que ça me prendrait un temps fou pour bien connaître cette ville. Depuis plusieurs mois, Delhi change, s’embellit en préparation des Jeux du Commonwealth qui se teindront en novembre. Mercredi soir, j’attends pendant cinq heures mon train. Je m’occupe en regardant tout ce qui se passe autour de moi. Puis je me presse près du guichet qui sert à manger. Les gens se poussent, se tassent, tendent le bras pour demander un sandwich. Au bout de quelques minutes, j’ai beau être devant tous les autres, je n’ose toujours pas hausser le ton pour demander ce que je veux. Puis je crie au point de me surprendre moi-même “Burger with ketchup”. Il me sert le petit pain avec le pavé de pommes de terre, prend mes 20 roupies et je sors de la masse en essayant de ne pas renverser la sauce, tout fier de moi.

Jeudi, après 12 heures dans le train, j’arrive avec mon sac en bandoulière et ma barbe à l’université. Les gardiens voient ma silhouette se former à travers la brume. Après trois semaines de vacances, ils m’accueillent en me prenant dans les bras. Pourtant je n’ai jamais réussi à échanger plus de trois mots avec ces hommes. Juste des sourires et des poignées de main.

 – Vendredi, je décide de ne pas me raser. Du coup, j’ai droit à plein de commentaires de la part de tous mes collègues. Mes élèves ont très peu travaillé pendant les vacances. Je suis surpris d’entendre des “Bonne année”…

 – Samedi,la brume disparaît un peu et il fait moins froid. Un de mes collègues me demande si ça m’arrive de boire de l’alcool. Lorsqu’il en parle, j’ai l’impression d’écouter un enfant, tellement il a l’air excité a l’idée que je dise ‘oui’. L’alcool n’est pas dans les moeurs. J’essaie d’expliquer gentiment que c’est assez commun de boire un peu d’alcool pendant le repas ou en apéritif. Mais comment expliquer ça à des gens qui associent l’alcool à un comportement déviant.

Dimanche, je passe la plupart de la journée sans électricité. Jusqu’à ce que le gardien décide d’allumer le générateur. Bon sang, qu’est ce qu’on s’ennuie sans électricité. Je me fais bouillir un peu d’eau pour boire du thé. Dans ma tasse je peux voir des flocons de calcaire qui flottent. Le soir, je suis surpris du goût délicieux des plats qu’on nous sert à la cantine. Puis une de mes élèves vient me voir et me demande si j’ai aimé le dalh jaune. Et elle m’explique que tous les jours de la semaine nous avons les mêmes plats en boucle et que le dimanche c’est le dalh jaune. Je ne m’en étais pas rendu compte. J’ai l’impression d’être vraiment très bête.

En repartant vers ma chambre, je m’arrête avec les gardiens. Je regrette tellement de ne pas parler plus hindi. Ils sont tous les quatre assis autour d’un feu qu’ils alimentent avec de vieux meubles récupérés derrière les salles de cours. Je les écoute parler, sans comprendre quoi que ce soit. On est bien là près du feu dans la quasi obscurité. Nous portons tous un lohi, sorte de couverture qui sert à nous réchauffer un peu mais dont la couleur marron est déprimante. Il y a dans leurs rires et leur conversation quelque chose de reposant. Ces hommes vont passer la nuit sur ces chaises en plastique à surveiller le campus près du feu.

Lundi, je raconte la même histoire de France sous la neige à tous les Indiens qui veulent l’entendre. J’en fais des tonnes. Ils m’écoutent les yeux écarquillés. “Et donc lorsqu’on marche on glisse sur des plaques de givre. C’est très dangereux… et les camions ne peuvent plus circuler”… J’en rajoute un peu en disant que le pays est bloqué… Mais bon, toute cette neige, ça les fait un peu rêver. Ici le ciel est d’un blanc imperturbable et fatiguant, vivement la chaleur. Lorsque je dis ca a un de mes collegues, il me regarde comme si j’étais fou…

January 11th, 2010

“You’ll have tea with us, Dear ?”

Mais pourquoi tous les hommes que je croise le matin s’attachent-ils autant à me serrer la main ? Il glisse leurs doigts contre les miens et sans serrer la poignée agitent le bras en riant, comme s’ils n’avaient jamais fait ce geste auparavant. C’est très étrange. Certains se détournent de leur chemin juste pour venir me serrer la main. Est ce que je suis en campagne électorale sans le savoir ?

 En théorie, se serrer la main n’est pas une habitude indienne. Et sur beaucoup de choses on se perd entre ce qui est une pratique culturelle propre et ce qui est entré dans les moeurs petit à petit avec l’ouverture sur le monde ou la colonisation anglaise. Par exemple pour les hindous, c’est diwali qui marque la nouvelle année. Pour me faire plaisir ils me souhaitent tous “Happy New Year” en ce moment alors qu’ils se le sont dit entre eux en octobre pour la fête des lumières.

Vers 10h, deux professeurs plus âgées que moi m’appellent et me proposent de venir prendre le thé avec elles. J’aime bien leur sari, je trouve que ça leur donne un charme fou. Rien que de réussir à bouger dans ses longs morceaux de tissu, ça doit être difficile. Une d’entre elle sort un billet de 20 roupies et le donne à une servante. Ca servira à payer le thé. Nous nous installons dans la salle des professeurs. Ces deux senior teachers enseignent l’anglais et il est naturel pour elles de parler anglais, mais je ne peux pas m’empêcher d’imaginer que nous sommes en train de reproduire un schéma typiquement anglais. Les petites phrases, les sourires un peu faux et les messes basses. Je suis sûr que ces dames adorent ces moments passés à commenter la vie de l’université en sirotant le thé. Puis la servante arrive, elle rend la monnaie du thé qu’elle est allée acheter à la cantine et elle sert quatre verres. Le sien elle ira le boire dehors, seule. J’adore lui sourire. Certains des autres professeurs ne l’aiment pas car elle fait montre d’un peu d’emportement parfois et ose lever les yeux. Jamais avec moi en tout cas. Le matin, elle me dit toujours un adorable “Namasté, Sir” avec un beau sourire et j’ai même parfois l’impression qu’elle m’a attendu, appuyée sur le mur plusieurs minutes, juste pour être sûre de pouvoir me saluer.

 

Un jour, un de mes collègue m’a raconté une histoire assez différente de ce qu’on peut entendre habituellement concernant les Anglais. Son grand père vivait près d’un superbe canal dans une des régions en Inde où la faune et la flore sont les plus originaux. Tous les jours, un soldat de la couronne venait surveiller que personne ne vienne jeter quoi que ce soit dans l’eau. Puis après l’indépendance, le soldat n’a pas été remplacé. Le lieu est tout simplement devenu une porcherie où les gens sont venus jeter leurs ordures. Il y a parfois dans le discours des Indiens une once de doute sur ce que serait le pays si les Anglais étaient toujours là. Et il n’est pas facile de comprendre là où se trouve leur propre fierté ou la copie des schémas de la haute société anglaise. Les rails et autres infrastructures ferroviaires sont en grande partie héritées des anglais, ce qui mène toujours à se demander dans quelle mesure la colonisation a marqué les esprits. Et parfois j’ai le sentiment que les Indiens ont l’impression de bien se tenir lorsqu’ils copient ce qu’ils pensent être la façon de se tenir des Anglais. Et bien entendu cela passe énormément par la langue. Je suis persuadé que le fait de ne pas pouvoir parler Anglais est une grande frustration pour beaucoup d’Indiens dans la mesure où cette langue (qui n’est la langue maternelle de quasi-personne) est synonyme d’un certain niveau d’éducation. L’Inde souffre toujours d’un sentiment d’infériorité par rapport à ces anciens colonisateurs, qui même après leur départ, laissent une empreinte forte sur l’imaginaire collectif.

January 10th, 2010

L’heure fatidique

Je suis dans ma chambre en train de lire. L’eau est en train de commencer à bouillir et j’ai pas trop froid grâce au petit chauffage que je me suis acheté pour 2 euros. Et bam. Tout s’éteint. Plus de lumière, plus de chauffage, plus de thé… je regarde ma montre. Il est exactement 16h00. L’heure fatidique à laquelle les autorités coupent l’électricité dans mon secteur.
D’un seul coup la température se met à chuter, plongeant en dessous des 15°C. Alors je décide de mettre mon manteau, mes chaussures et d’aller voir ce que font les étudiants qui logent dans mon bâtiment. Ca tombe bien car ils sont tous dehors, devant ma chambre, en attendant que le gardien allume le générateur. Je m’approche. Ils se mettent tous à sourire et se font super accueillant en me demandant comment étaient mes vacances. Puis petit à petit, ils en viennent à parler de leurs études et de leurs idées de carrière. Ils me demandent ce que j’étudie en France. Certains connaissent quelques mots et s’entraînent. C’est étrange de les voir se pencher les uns sur les autres et de les voir se tenir la main.

Puis vient la question qui les intéresse le plus et qu’ils ont dû gardé dans leur poche depuis des semaines :

“- Sir, do you have a girlfriend?
– Ahahahha… Euh. No, I don’t

But why Sir ?
Pour tous ces jeunes adultes c’est une obsession. Quelque chose qu’ils ont constamment en tête. C’est fou. Puis un d’entre eux fait une remarque en disant que j’ai l’air “smart“. Puis un autre renchérit en disant que je suis élégant. Je me mets à rougir. Ils sont de plus en plus nombreux à se tenir autour de moi. Le gardien passe en se demandant ce qui se passe, mais tous les regards sont tournés vers moi et les commentaires continuent de fuser. J’essaie de ne pas montrer que je suis gêné. Je souris, je ris bêtement. Le gardien passe dans l’autre sens. L’électricité fonctionne à nouveau. L’un d’entre eux me dit que le groupe va sans doute aller voir le temple, car vers 16h c’est l’heure où les demoiselles viennent également se promener. Je dis que j’ai du travail et je le regarde s’éloigner, tous plus excités les uns que les autres. Je les aime bien ces jeunes hommes. Ils sont sympathiques. Et puis sans m’en rendre compte, ils m’ont apporté de la chaleur.

January 9th, 2010

Chapître 2, trois mois plus tard

Retour à Jalandhar !

C’est avec 5 heures de retard que le train Shatabdi (c’est à dire express) est arrivé à Delhi. Il a ensuite mis 12 heures à pour relier Delhi avec Jalandhar (au lieu de cinq heures).

Il est donc neuf heures du matin lorsque j’arrive à Jalandhar. Ma première impression : il fait super froid et toute la ville est enveloppée d’un épais brouillard. Le chauffeur de rickshaw n’a aucune visibilité et les rues sont pleines de petits groupes d’Indiens qui se chauffent comme ils peuvent autour d’un feu. J’arrive avec mon sac sur l’épaule et mon bronzage vers la porte de l’Université, pas rasé et pas lavé depuis plusieurs jours. J’imagine les gardiens qui voient ma silhouette apparaître progressivement dans le brouillard. Puis ils se mettent à crier et à rire en me reconnaissant. “Hé, je suis content de vous revoir aussi”… Pas très convainquant.

Je suis assommé par la pensée qu’il y a quelques jours j’étais sur une plage en Thaïlande, mort de chaud. Ces vacances m’ont fait du bien mais le retour à la réalité indienne est bien difficile. Je me retrouve à trinquer avec ma petite tasse de thé dans le minuscule bureau glacé de la réceptionniste. Elles me parlent de leurs vacances sans réel intérêt… elles regardent mes photos en commentant le moindre détail.

J’ai l’impression d’avoir clos un chapitre de mon expérience. Trois mois sont passés et ces deux semaines en Thaïlande m’ont permis de faire un break et de renouveler mon Visa. Me voilà de retour, mais mes pensées sont ailleurs. Je suis encore sur mon petit bout de colline à regarder le coucher du soleil avec Laura. Je ne peux m’empêcher de penser à mon expérience sur l’île de Ko Phangan : tous les jours le même rituel, déjeuner, plage, diner, plage, conversation près du feu. J’ai rencontré des gens qui étaient venus pour les vacances et qui ne sont jamais rentrés chez eux… préférant rester sur la plage.

Sur la Plage de Ao Mae Haad, Ko Phangan

Sur la Plage de Ao Mae Haad, Ko Phangan

Et puis petit à petit, malgré ma mauvaise humeur générale à cause du froid du Pendjab, je me laisse aller aux sourires des gens autour du campus. Ils sont si contents de me revoir. Comment résister ? A table, je peux entendre mon nom dans toutes les bouches. Une dame montre mes cheveux et me dit qu’elle n’aime pas ma nouvelle coupe, que j’ai l’air trop jeune. Alors je souris tout en étant légèrement ennuyé d’être constamment le centre des commentaires des gens. Mais voilà, même en mon absence les journaux ont publié des articles sur moi. Une de mes élèves les a consciencieusement découpés et rangés dans une enveloppe.

Pendant les deux dernières semaines, j’ai eu une impression de mouvement extraordinaire, comme la planète entière était mon espace de jeu et que je pouvais passer de Delhi à Bangkok facilement, faisant de chacun de ces lieux un nouvel espace à découvrir. Se déplacer en train, en bateau, en avion, tout cela semblait facile. Puis sur les plages du sud de la Thaïlande, j’ai dansé comme un fou le soir de la Full Moon Party qui coïncidait avec le soir du 31 décembre. Imaginez 50 000 personnes sur une plage avec une dizaine de DJ et beaucoup d’alcool…

Soir de la Full Moon Party - avant de mettre la peinture fluo sur le visage

Soir de la Full Moon Party - avant de mettre la peinture fluo sur le visage

Bref c’est un nouveau chapitre qui s’ouvre. Il me reste trois mois pour apprendre l’hindi, visiter les milliers de villes toutes bien différentes de Jalandhar et réussir à comprendre un peu ce pays qu’il faut que j’arrête de définir comme bordélique.

January 8th, 2010

Quentin et le Temple Doré

Chapitre 2 : Amritsar

Je sors donc mon mouchoir en tissu de ma poche et le noue sur mes cheveux. Je me regarde dans le reflet d’une vitre : j’ai l’air ridicule. Mais bon, autour dans la rue, il y a plein d’hommes qui portent un mouchoir de cette façon. D’ailleurs ils se dirigent tous dans la même direction, il serait peut être temps de commencer à marcher vers le temple. Pendant que je regarde autour, les filles ont commencé à se séparer en trois groupes. J’ai décidé que je ne visiterai pas le temple tout seul : je vais copier le moindre mouvement des deux wardens avec lesquelles je vais passer la journée.
On s’engage dans les rues d’Amritsar. Elles sont particulièrement sales et pleines de boues. Aux abords du temple il y a énormément de monde. Les pèlerins, parmi lesquels je me trouve, marchent comme une grande vague humaine vers la même direction. Autour de nous les vendeurs ambulants proposent des mouchoirs pour se couvrir la tête, d’autres vendent des boissons fraîches ou des cartes postales.
Première étape aux abords de l’enceinte du temple : enlever ses chaussures. L’une des wardens me propose de me rendre dans les toilettes si je veux être tranquille. Elle a peur que je sois offensé de devoir ôter mes chaussures devant autant de monde. Ca me fait rire et je lui fais comprendre que je vais faire comme tout le monde. En bas de quelques marches, il y a une grande salle qui sent très mauvais dans laquelle des milliers de paires de chaussures sont rangées.
Puis avant de rentrer dans l’enceinte du temple nous nous arrêtons près de grands lavabos pour nous laver les mains. Puis on passe par le pédiluve pour nous laver les pieds. Des soldats équipés d’armes traditionnelles posent près de l’entrée. On descend un autre escalier et tada, le temple est là au milieu du lac carré qui l’entoure. Je peux voir le spectacle surprenant de dizaines d’hommes qui se lavent dans ce lac. Les Sikhs, qu’on peut reconnaître par leur barbe et leur turban se plongent même entièrement dans l’eau. Vu que pratiquement aucun d’entre eux ne sait nager, ils se tiennent à des chaînes accrochées tout autour du bassin. Je me dis qu’ils sont fous de faire trempette là dedans, il fait assez froid. Je porte ma polaire d’ailleurs. Et c’est à ce moment que mon accompagnatrice me monde le bord de l’eau et me dit d’aller me purifier. Je me mets à sourire. Elle sait que je suis de tradition chrétienne, elle sait que tout le culte sikh m’échappe… et elle voit que je suis gêné à l’idée de me mettre à poil devant des milliers de gens pour aller me plonger dans une eau qui n’est autre qu’une grande mare d’eau stagnante dans laquelle les germes doivent se multiplier tranquillement. (Je me dis qu’une bonne Javel dose ça ne ferait pas de mal. Sauf que le Temple Doré est bien connu pour ses grands et beaux poissons rouges.) Bref me voilà déjà face à un premier problème à peine arrivé. Puis je me dis “What the 1%*$” et je fait trempette. Pas entièrement mais suffisamment pour faire super plaisir aux deux dames qui me regardent sans perdre une miette du spectacle.
Pour ses dames le fait que j’enlève mes chaussures pourrait être gênant mais me mettre en caleçon est normal ? Tout autour du bassin les hommes se dénudent sans que personne ne se cache ni ne s’offense de voir les corps qui se dévoilent. Le sacré recouvre le tout et rend cette quasi nudité tout à fait normale.
Nous reprenons notre périple autour du bassin. Un peu partout je peux voir ces touristes étrangers qui semblent perdu. Une maman tient son fils par la main. Le petit garçon américain porte un costume de Spider Man alors qu’une jeune femme indienne le prend en photo avec son téléphone, tournant le dos au temple, ce qui n’est jamais sensé se produire. Tous les cents mètres une vitrine avec une statuette est posée avec une grande boîte juste devant. Les gens se pressent pour s’accroupir et mettre un peu d’argent dans la boîte, le tout sous le regard attentif d’un homme portant un turban et équipé d’un bâton au cas où un billet resterait coincé dans la fente de la boîte. Puis nous arrivons là où l’on peut acheter une pâte faîte de farine, de beurre et de sucre (prashad). Je ne comprends pas bien ce que nous faisons. En fait, nous achetons cette pâte (11, 21, 31 roupies ou plus, toujours avec une roupie en plus pour le signe de l’hospitalité) mais nous n’y touchons pas : nous devons rejoindre l’immense queue qui mène au temple doré situé au milieu du bassin. Nous sommes plusieurs centaines à être serrés. J’imagine une émeute ou un mouvement de panique avec toutes ces personnes âgées, toutes ces femmes qui tiennent leur bébé dans leurs bras : ça serait terrible. Les gens tenteraient peut-être de sauter dans l’eau et s’y noieraient. Aucun touriste ici, ils passent tous leur chemin et se contentent de faire le tour du bassin. Au bout d’une heure et demi nous entrons dans le temple. Trois hommes sont postés à l’entrée et se saisissent de notre prashad, ils en enlèvent la moitié et nous rendent le plateau. A l’intérieur du temple, rien d’extraordinaire : de l’or partout, des lustres et de beaux tapis. J’ai faim.

La foule qui attend devant le temple

La foule qui attend devant le temple

Nous sortons, finissons le tour complet du bassin et nous nous rendons à la cantine : voilà le spectacle le plus incroyable de la journée. Je suis absolument médusé. Des centaines de personnes sont installées en ligne. A l’entrée on nous donne un plateau et un bol et on nous fait signe de nous installer sur les petits tapis en jute. Des volontaires passent dans les allées et nous servent la nourriture. C’est un bordel monstre. On me propose de me resservir à plusieurs reprises. Je ne sais pas quoi attendre de cette nourriture, mais en fait, c’est assez bon. J’imagine le temps qu’il faut pour préparer ces milliers de repas. La warden qui se trouve à ma droite m’explique qu’on sert de la nourriture vingt quatre heures sur vingt quatre et sans jamais faire payer les gens qui viennent manger. A peine avons nous terminé notre plateau qu’une nouvelle ligne de personne venues manger se forme derrière nous.
Au moment de sortir de ce grand réfectoire je manque de glisser sur de la sauce sur le sol. Je regarde derrière moi les dizaines de personnes installées pour manger. Là c’est sûr aucun visage blanc, et pourtant c’était fun
Pour ce qui est de la spiritualité, je suis assez déçu. Je suis venu en Inde avec l’idée que je trouverai de bons moments pour méditer et me surprendre moi même avec des sentiments nouveaux. Je ne le sais pas encore mais je suis à quelques heures d’avoir un de ces sentiments.

(à suivre)

December 16th, 2009

Quentin et le Temple Doré

Je me joins à soixante jeunes femmes entre 18 et 22 ans qui payent quatre euros (250 roupies) pour cette excursion en bus scolaire vers la ville d’Amritsar à 70 kilomètres de l’université. C’est à Amritsar qu’a été construit le Temple Doré, lieu saint de la religion sikh où des milliers de croyants se rendent en pèlerinage. Ce qui est fascinant c’est que le temple attire aussi les croyants hindous qui y voient un lieu où l’on peut invoquer la chance.

Chapitre 1 : le voyage

Le rendez-vous était fixé à 7h du mat’. Lorsque j’arrive le bus jaune est déjà plein. Les trois dames qui encadrent le voyage, les fameuses wardens, me disent de m’asseoir à l’avant du car, sur la banquette près du pare-brise. Deux bâtons d’encens ont été allumés et plantés entre le chauffeur et moi. L’odeur est très forte, pratiquement insupportable. Au dessus du chauffeur se trouve une petite crèche avec des portraits très colorés de différents dieux. Autour du volant des animaux ont été dessinés à la peinture. Le car est plein à craquer au point que certaines jeunes filles vont être debout pendant les deux heures et demi du voyage. Je me sens presque coupable d’être confortablement installé. En plus, j’ai la meilleure vue : je peux observer la route et je ne vais pas m’en priver. Au moment de quitter la fac une des wardens se met à chanter avec sa petite voix : soudain ses paroles sont reprises par tout le car. Je comprends qu’il s’agit de chants pour nous souhaiter de la chance lors de notre voyage. Nous passons les grandes portes de l’entrée principale et le chauffeur effectue une prière.
Amritasar se trouve à 70 km de Jalandhar. Il s’agit d’une ville tout près du Pakistan. Si vous voulez aller à Lahore vous descendez du train dans cette ville, traversez la frontière et prenez un autre train. .

Je fixe la route. Au bout d’un moment je me rends compte que je peux sentir un courant d’air. En regardant à mes pieds je remarque un trou dans le plancher par lequel je peux voir la route. A plusieurs reprises les véhicules qui viennent dans l’autre sens se retrouvent sur notre file et se rabattent au dernier moment. Ça fait vraiment peur, les gens ne conduisent vraiment pas bien. J’ai en tête l’image de ma mère qui s’agrippe au siège de la voiture au Maroc complètement pétrifiée de peur par la façon dont conduisent les gens… je me dis qu’elle serait pas à l’aise non plus à ma place.

Puis vers neuf heures, tout le monde commence à avoir faim. On s’arrête une trentaine de minutes et quelques étudiantes s’organisent et ouvrent quatre grosses boites en plastique et distribuent le petit-déjeuner à leurs camarades : chaque fille a droit à deux galettes de blé, une louche de sauce avec quelques haricots. Le mélange des deux ingrédients est délicieux. Je suis parmi les premiers servis. Tout le monde autour du bus me regarde manger et dès que j’ai vidé mon plateau en plastique on s’empresse de me proposer de le remplir. J’insiste et dis que je n’ai plus faim. Les filles gloussent et chuchotent en me regardant bizarrement. Instantanément je repense aux paroles d’une de mes collègues : “Tu es très populaire parmi les jeunes femmes, elles te trouvent charmant”. Une d’entre elles s’avance et me demande si je m’ennuie et si je suis triste. Je la fixe droit dans les yeux et je souris. Non, je ne m’ennuie pas. Le voyage me plaît. Il ne faut pas s’inquiéter.

On repart sur la route. Tout autour je regarde les petites maisons, les restaurants et les champs qui s’étendent à perte de vue. Nous serons bientôt dans la ville sainte. A un croisement, un groupe d’homme est debout au bord de la route, ils lèvent le bras en nous voyant. Ils s’imaginent sans doute que nous allons nous arrêter, puis ils voient le nom de l’école écrit à l’avant du bus et ils finissent par me fixer du regard. Nous passons à côté d’eux à toute vitesse mais je me retourne pour continuer à les regarder.
Au moment de passer sur un pont, nous ralentissons. La route est plus étroite d’un seul coup et je peux voir un type armé d’une mitraillette, ou plutôt d’un pistolet mitrailleur, derrière un tas de sacs de sable à l’entrée du pont. Il porte des vêtements couleur sable et un turban rouge et violet. Je me demande si son arme fonctionnerait s’il devait l’utiliser. Elle a l’air de dater des années 50. Je regarde la rivière au-dessus de laquelle nous passons. Elle est pleine de déchets et ses bords sont mal délimités à cause d’une épaisse masse de roseaux. L’eau a l’air vraiment crade.
L’une des surveillantes se penche pour arrêter la musique du car. Nous arrivons et du coup j’ouvre les yeux en grand. Rien d’étonnant à première vue dans cette ville qui est aussi sale que n’importe quelle autre ville que j’ai pu visiter.
Le car s’arrête. Nous descendons et au moment où je pose le pied au sol, on me fait comprendre qu’il faut que je me couvre la tête. Toutes les jeunes femmes ont le même geste. Elles lèvent les mains au dessus des épaules et en soulevant leur châle se couvrent les cheveux. Nous y sommes ! Je vais voir le Temple Doré !

Sauf que le périple jusqu’au temple est encore long…

(à suivre)

Le Temple Doré ou Swarn Mandir, au milieu du lac, Talab en hindi

Le Temple Doré ou Swarn Mandir, au milieu du lac, Talab en hindi

December 15th, 2009

Ma vie à bord d’un rickshaw

Petite description d’un élément essentiel de mon quotidien grâce auquel je me déplace tous les jours. Le Rickshaw ! Qu’est ce que c’est ? Il s’agit d’un véhicule à trois roues (d’ailleurs ça vient de l’expression “trois roues” en hindi) qui transporte les gens sur de petites distances. La prononciation diffère entre l’anglais “Rikcho” et l’hindi “Riksha”. Il y a deux sortes de Rickshaw. Le motorickshaw qui fait un bruit infernal et qui pollue beaucoup et le rickshaw traditionnel qui ressemble beaucoup à un vélo à trois roues auquel on aurait ajouté une nacelle pour le ou les clients.

“Je suis assis sur le rickshaw. Je me retourne régulièrement, le sourire jusqu’aux oreilles pour regarder Disha dans le rickshaw derrière moi. Elle tient ses sacs près de sa poitrine et me regarde assez sérieusement. Je serre les jambes et colle les pieds bien à plat sur le bas de la nacelle pour ne pas tomber en avant. Je regarde quelque chose loin devant et mon regard se perd dans le vague. La fatigue, je ne ressens plus que de la bonne fatigue. Celle des journées de cours qui se terminent avec le sourire de mes élèves. Je me retourne à nouveau. Disha n’est plus là. Son rickshaw a dû prendre une rue perpendiculaire. Je l’imagine dans son saree rouge et blanc qui me fait signe ou crie “Quentin, bye !” alors que je suis perdu dans mes pensées. Ses yeux sont entourés de noir, elle porte des lunettes et ses cheveux sont attachés en arrière. Comme d’habitude.”
Extrait de mon journal à la date vendredi 6 novembre.

“Je repense à la satisfaction qu’a été le chemin du retour. Je suis à la gare de Jalandhar : pas de doute sur la démarche à suivre. D’abord s’orienter pour retrouver ses repères : oui, c’est bien à droite que se trouve le minuscule chemin qui passe sous les voies de chemin de fer et qui me mène vers le quartier où se trouve Doaba College, campus pour garçons au sein duquel je loge. J’avance droit vers un chauffeur d’auto-rickshaw qui attend sur le côté de la route. Une dame et ses deux enfants arrivent en même temps près du véhicule. Je dis “Doaba Chowk” (le rond-point de Doaba) et il fait signe de la tête que je peux monter. Je sais que je ne vais payer que 5 roupies. C’est toujours le même prix. Nous nous collons tous les quatre dans le petit véhicule, et je m’agrippe à la barre supérieure qui supporte le toit en bâche de plastique. Le chauffeur démarre le moteur de son trois-roues à l’aide d’une corde et nous partons dans la confusion des routes du centre ville. En quinze minutes je suis rentré.”
Extrait de mon journal à la date du lundi 16 novembre

“L’auto-rickshaw ne s’arrête pas ! Il va continuer alors que je lui ai demandé de s’arrêter au rond-point. Je ne sais pas quoi faire. Et là je m’entends crier “Bass”. Il sert tout de suite les freins et le trois-roues commence à s’arrêter. Je me penche à l’extérieur du petit véhicule avec la barre qui tient la bâche. Je me balance quelques instants au dessus de la route alors que le véhicule ralentit doucement. Et juste à ce moment, j’ai l’impression de jouer, de m’amuser.”
Extrait de mon journal à la date du samedi 28 novembre

La semaine dernière j’ai perdu les clés de ma chambre dans un autorickshaw. J’étais vraiment pas bien et je m’en voulais. J’ai dû demander à un gardien de casser mon cadenas et de m’acheter un nouveau verrou. Ce matin, je fais signe à un autorickshaw. L’affaire des clés est oubliée. Je m’installe à l’arrière du véhicule. Je ne suis pas bien réveillé. Ce chauffeur est plus bavard que les autres, et je ne comprends pas un mot de tout ce qu’il dit. Puis il sort quelque chose de la boite à gants et l’agite sous mon nez. La clé ! Le type m’a reconnu. C’est ici que j’avais oublié la clé de ma chambre il y a une semaine. Je n’en reviens pas. Il a l’air de m’expliquer qu’il m’a cherché. Qu’est ce que c’est sympa. Incroyable même.

December 14th, 2009

De la poussière plein le corps

Fin de journée, les murs habituellement blancs en face de ma chambre sont roses avec la lumière du soleil qui se couche. J’adore. D’ailleurs c’est pas rose, c’est mauve.

Désormais on peut dire qu’il fait froid. J’imagine l’air qui frôle les pics de l’Himalaya, se refroidit à l’extrême sur le toit du monde, puis descend vers le Pendjab, vers Jalandhar en longeant la frontière avec le Pakistan pour se rapprocher de ma chambre. Brrrr j’en ai froid dans le dos, rien que d’y penser.
Et là je me dis que ça doit être vraiment dur pour les gens qui vivent dans la rue. Ils sont des dizaines à dormir dans l’herbe au milieu des ronds-points, avec le bruit des Klaxons toute la nuit. Lorsque je passe près de leur campement, je peux pas m’empêcher de les regarder derrière les barrières sur le rebord de la route. Ces barrières sont peintes aux couleurs du drapeau indien. Orange, blanc, vert. Ces hommes ont les traits tirés à l’extrême, leurs vêtements sont couverts de tâches et ils ont les cheveux en bataille. Ils vivent en groupe comme ça sous des bâches. Je les vois le matin en train de se faire chauffer de l’eau. Il y en a toujours un dans un coin en train de pisser contre un mur et un autre en train de fumer un bidi, feuille de tabac roulée sur elle-même et qu’on appelle aussi Indian cigarette.
Ces hommes je ne crois pas les avoir vus mendier. Seuls les femmes et les enfants mendient. Quand j’y pense j’ai l’impression que la poussière et les tâches sont leur quotidien à un point tel que de la terre est entrée dans les pores de leur peau et a rendu leurs yeux jaunes et leurs dents marrons. Je peux les voir se chauffer près de quelques journaux qui brûlent respirant la fumée noire.
Les maisons des gens aisés comportent souvent un deuxième étage qui ne sert pas vraiment. Il y a là-haut d’immenses chambres vides. Un jour, alors que je visitais le deuxième étage de la maison d’une de mes collègues, j’ai vu un petit lit sur la terrasse dehors. Il s’agissait de là où dormait le serviteur de la famille. Je suis resté bloqué sur ses affaires roulées en boule. Je n’arrivais pas à comprendre pourquoi il ne logeait pas dans une de ces fameuses pièces vides. Mon hôte a répondu : “Il préfère dormir dehors, c’est lui qui nous l’a demandé”. Et le pire c’est que c’est possible, l’homme se serait alors auto persuadé que c’est mieux ainsi, que sa place est dehors.

Je regarde ma chambre en bordel. J’ai des fringues un peu partout, mon lit n’est pas fait. Je me dis que j’adore cet endroit. Le soir, j’aime me blottir dans les draps avec un verre de Coca et quelques gâteaux pour regarder un film sur mon ordi ou lire mes romans. C’est mon coin, l’endroit où je suis protégé des regards qui me suivent le reste de la journée. Et là encore ces hommes dans la rue sont particulièrement malchanceux. Car ils n’ont nulle part où se préserver des regards des autres. Je profite d’un véritable privilège, d’un luxe presque : une intimité.

December 11th, 2009

Le paquet de chips

Le jour où j’ai pas réussi à sauver la planète.

L’autre jour je me suis retrouvé avec un vrai problème. Je marchais en mangeant un paquet de chips. Puis une fois fini je n’ai tout simplement pas su quoi faire de l’emballage. C’est terrible. Ça m’a fait me poser des questions toute la journée. Normalement je sais quoi faire : si je ne trouve pas de poubelle, je roule le paquet en boule et le met dans ma poche pour le jeter plus tard dans une poubelle dans ma chambre. Sauf que je sais que le lendemain, la personne qui va vider ma poubelle fera un truc simple : elle va rassembler toutes les poubelles du coin, faire un joli tas et brûler le tout. D’ailleurs, en Inde, une journée semble bien commencer lorsqu’on fait un grand feu avec toutes les cochonneries qu’on peut trouver devant sa porte. Imaginez les dizaines de milliers de personnes qui font ce même geste tous les matins et vous comprendrez pourquoi j’ai l’impression que le soleil est tout le temps voilé au dessus de moi.
On pense que les poubelles sont des objets de la vie courante, et hop dès qu’elles disparaissent on se retrouve bien dans la mouise. Mon éducation m’interdit de jeter des ordures dans la rue. Il doit y avoir une solution. C’est pas possible, c’est sérieux comme problème quand même. Sauf que c’est pas une priorité dans un pays en développement qui compte des millions de pauvres dont les conditions de vie sont critiques.

Petite note positive : les Indiens ne le savent pas encore mais un jour ils trieront leurs déchets. Tous ces gens autour de moi, ou peut-être leurs enfants auront une préoccupation pour l’environnement. Ils ne le savent pas encore. Je pourrais leur dire mais ils ne me croiraient pas. Alors je garde pour moi ce secret venu de leur futur.

Mais que faire de ce satané paquet de chips vide ? Les gens dans la rue commencent à me regarder avec encore plus d’insistance que d’habitude alors que je tiens l’emballage dans ma main. Je les vois se demander pourquoi je ne jette pas ce papier en plastique à mes pieds. Je vois leurs yeux se déplacer vers ma main. Je fais semblant de continuer de prendre des chips dans le paquet en attendant de trouver une solution. Je suis prêt à le jeter par terre. Après tout, la rue est pleine de papiers, de vieux journaux, de bouteilles vides, d’épluchures de fruits et bien sûr de poussière et de crasse. Et pourtant je n’y arrive pas, je dois trouver une autre solution. Et puis c’est tout l’enjeu de Copenhague, non ? Je ne veux pas être responsable du réchauffement climatique ! Où sont les poubelles ? Je sais que même si je continue à chercher je n’en trouverai pas. Et pourtant je continue à espérer. Puis au détour d’une rue je vois cette masse de déchets qui ont été balayés ensemble. Dans le tas d’immondices, il y a plein d’autres paquets de chips vides. Alors je pose le mien à côté des autres et je pars en vitesse. Il sera sans doute brûlé demain matin. Merde alors, j’ai pas réussi à sauver la planète aujourd’hui.

December 10th, 2009

From the mess to the masses

Normalement je me fais livrer mon dîner dans ma chambre tous les soirs par un jeune garçon qui vient en bicyclette m’apporter le riz (tchaaval en hindi), les légumes épicés (subji), quelques galettes de blé (tchipati) et des fruits. Depuis quelques jours mes soirées sont beaucoup plus vivantes. Désormais j’ai un nouveau rituel : je vais manger à la cantine de l’université.
Au moment de prendre le rickshaw, c’est toujours drôle de se retrouver coincé avec d’autres gens sous la bâche du petit engin très bruyant et de les voir me dévisager. Puis je marche dans les allées vides du campus pour rejoindre la cantine (the mess). C’est dans ce lieu que se joue tous les soirs le même petit jeu de regards. En clair, les professeurs ont une table réservée dans un coin de la grande salle qui accueille toutes les étudiantes qui vivent en internat, et elles sont plus de 400, leurs familles habitant parfois à une centaine de kilomètres de Jalandhar. Et immanquablement lorsque j’arrive c’est une impressionnante collection de paires d’yeux qui m’accueille. J’ai souvent beaucoup de mal à garder pour moi un énorme sourire nerveux. Ce qui n’arrange pas mes affaires, le moindre de mes gestes étant scruté. Elles se sont bien rendues compte que j’étais jeune, que je viens d’un pays lointain et je suis donc une curiosité. Moi je trouve toujours drôle de les voir avec leur bonnet, leur écharpe, leur pyjama et leur châle. Il faut dire qu’il fait assez froid dès la nuit tombe.
Et donc je me met à table avec les trois wardens, qui sont trois femmes d’un certain âge toujours adorables avec moi et très sévères avec les jeunes filles qu’elles surveillent. Elles parlent avec un anglais assez limité mais ça ne m’empêche pas de passer de bons moments. L’autre soir une des étudiantes est venue avec son assiette se plaindre d’un insecte tombé dans sa sauce. Mais ça n’a pas entamé l’entrain avec lequel je plonge ma galette de blé dans le dahl (sauce aux lentilles). L’une des warden a sorti la mouche avec sa cuiller et je me suis mis à plaisanter : “Oh now it’s non-vegetarian“. Ca ne fait pas rire grand monde car cette cantine ne sert que de la nourriture végétarienne et l’idée de manger un animal ou même un œuf est vraiment grave.
 Et c’est donc un soir où j’étais à table occupé à observer tout ce monde qui s’agite que l’une des wardens m’a expliqué que l’université organisait un voyage de groupe à Amritsar pour visiter le Golden Temple. Passer deux heures dans un bus avec soixante jeunes filles qui me dévisagent risque d’être assez drôle. Mais c’est surtout la visite du temple un dimanche qui s’annonce être une sacrée expérience. Ce jour-là le lieu est noir de monde. Bref je vais pouvoir jouer à observer la foule et me faufiler au milieu de ces milliers d’Indiens. Agoraphobes s’abstenir !

PS : J’emprunte le titre de ce post à une chanson de Phoenix, Lisztomania.

December 9th, 2009

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