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Republic Day !

January 29th, 2010

Mardi 26 Janvier 2010. Il y a exactement soixante ans, la Constitution était ratifiée en Inde.
J’ai rendez-vous à 9h pour prendre le bus jaune qui va m’emmener avec tout un tas d’étudiantes au Stade municipal de Jalandhar. On peut voir des policiers partout, en particulier lorsqu’on approche du stade. Je discute avec la prof de danse qui accompagne le groupe d’étudiantes. Elle me parle du Pendjab et de cette tension séparatiste qui était très forte il y a une vingtaine d’année. Elle parle de terroristes et remercie les dieux de la paix qui règne désormais. Pendant un instant je me perds dans mes pensées et j’arrête d’écouter ma collègue. Depuis quelques jours je me suis lancé dans la lecture de la mythologie hindou. C’est fascinant.
Les premières histoires racontent les aventures des 10 avatars de Vishnu. Il a l’histoire du poisson qu’on appelle le Matsya, qui a sauvé le seul homme qui avait un cœur pur lors d’un déluge qui ressemble beaucoup à celui de la Bible. Les mythes hindous sont compliqués ; ils racontent souvent l’histoire d’hommes pleins de vices qui cherchent à tout prix à conquérir le paradis ou encore à devenir invincibles. Vishnu prend l’apparence d’un des protagonistes et se révèle au dernier moment pour punir ou récompenser le personnage principal. Le mot avatar vient de la langue sanskrit, une langue ancienne dont dérivent beaucoup de langues en Inde. Les mythes indiens sont particulièrement violents avec souvent des têtes coupées et des crises de colère imprévisibles de la part de ces héros tous plus méchants les uns que les autres.

Nous arrivons aux abords du stade. Les rues sont bloquées, il nous faut marcher jusqu’à l’entrée. La foule se fait de plus en plus massive. Je ne suis toujours pas habitué à la taille de la foule, et puis les gens n’hésitent pas à se serrer, à se coller et à se pousser. Les filles sont très nerveuses. Dans quelques minutes elles vont danser sur le terrain d’herbe jaune du stade devant tout ce que Jalandhar compte de personnalités. D’un seul coup alors que nous marchons vers la grosse scène qui supporte toutes les personnes importantes de Jalandhar, tout le monde autour de moi s’immobilise. L’hymne national. On ne bouge plus. On fait face au drapeau indien. Vert pour l’abondance, blanc pour la paix et orange pour la couleur du sacrifice. Un garde me demande d’arrêter de discuter. Il tient une sorte de cravache à la main. Plus tard, c’est lui qui dira aux gens d’applaudir au passage du ministre. Les filles partent se préparer, je file vers les tribunes officielles. Je regarde toutes ces “élites” et autres membres de l’administration : les tribunes sont entourées de gardes qui portent de vieilles armes automatiques. La prof de danse m’explique que sans carton je n’ai pas le droit de m’asseoir dans les tribunes officielles. Je lui dis de me confier sa caméra et que je la retrouve après le spectacle. Et je me faufile en souriant jusqu’à une chaise confortable tout près des karts d’où proviennent les verres de thé que l’on sert aux invités importants. Je crois que ma cravate a fait bonne impression.

La cérémonie commence. Je ne comprends pas les discours. Je n’arrive même pas à savoir où se trouve l’orateur car plusieurs micros ont été placés sur la scène (qui est d’ailleurs noire de monde) et je me trouve légèrement derrière les intervenants et face au reste des gens éparpillés dans les tribunes tout autour du terrain de foot.
Puis je regarde avec plaisir les démonstrations des écoles qui ont été invitées. Chaque collège de Jalandhar a préparé un numéro de danse ou des numéros où les élèves en uniforme, placés en ligne agitent des drapeaux aux couleurs du drapeau indien. La synchronisation étant parfaite et les élèves étant réunis par milliers sur le terrain, l’effet est garanti. Ce qui est amusant c’est de fixer du regarde l’élève qui connaît mal la chorégraphie ou qui est un peu plus rêveur que les autres et dont le drapeau se lève toujours en retard. Je regarde le préfet ou le ministre du Pendjab comme on l’appelle. Je l’ai rencontré à un dîner mondain organisé à KMV il y a plusieurs mois. Il est à l’aise. Il chuchote avec son voisin en se cachant la bouche. Comme la plupart des officiels à cette tribune il porte un turban, signe qu’il appartient à la communauté sikh.
Puis vient le tour de mes élèves. Elles portent toutes un saree blanc et une écharpe aux couleurs du drapeau indien. Derrière le plus gros du groupe quatre filles portent des drapeaux qu’elles agitent en rythme avec la musique. Une d’entre elle ne fait pas attention ou est trop paniquée à l’idée de danser devant des milliers de personnes et laisse son drapeau s’enrouler sur lui-même. Pendant ce temps je trempe mon biscuit dans mon thé sous les regards des gens assis autour de moi qui restent polis mais qui rêvent de me demander qui je suis et ce que je fais là. Et puis je crois qu’ils veulent savoir pourquoi je trempe mon biscuit de cette manière. (Mes amis rigolent toujours lorsque je fais ça).

Au loin, je peux voir des dizaines et des dizaines de personnes en uniforme qui se mettent en place. Ils commencent à marcher tout autour du terrain. Il s’agit de différents corps de l’armée. Ces hommes et femmes s’approchent lentement de nous. A l’avant du groupe les mouvements sont bien synchronisés et nets. Les uniformes sont marrons foncés. Il doit s’agir des militaires en exercice. Le deuxième groupe est composé des hommes encore en cours de formation puis vient un groupe de femmes puis un groupe d’adolescents puis d’adolescentes et c’est au tour d’un groupe de petites filles aux cheveux bien tressés qui portent une jupe et des chaussettes bien montées jusqu’aux genoux. Leur salut militaire est adorable. Alors que la foule autour de moi est comme endormie je ressens une émotion toute particulière. Je me sens bête mais je n’arrive pas à retenir un frisson en regardant cette cérémonie. Pendant un quart d’heure j’oublie le bordel ambiant qui berce ce pays et me laisse charmer par la rigueur de ce défilé et de ces petites filles qui marchent en rythme.

De retour à l’université je remarque que le drapeau a aussi eu droit à sa propre cérémonie ici. On peut voir des pétales de fleurs tout autour du mat. A la cantine nous avons droit à des pâtisseries qui baignent dans du sirop. Aujourd’hui il fait très beau et d’un seul coup c’est la chaleur qui revient. Lorsque je m’étais préparé ce matin j’avais mis mes gants achetés aux enfants du marché et maintenant je ne pense qu’à une chose c’est ouvrir les fenêtres pour laisser entrer la chaleur. L’hiver est passé. Les oiseaux sortent à nouveau. Et dire qu’il y a encore quelques jours nous étions assis autour d’un feu tous les soirs. Maintenant les jardiniers s’activent pour arroser la pelouse et les bacs remplis de roses pour que le campus reprenne tout son éclat. Je passe l’après-midi à lire sur un banc dans les jardins de l’université. Le tout sous les regards des filles qui vont et viennent dans le jardin.
Après avoir dîné, vers 21 heures j’embarque sur un rickshaw (de type vélo) en compagnie de Som, un collègue qui parle un très bon anglais (il a appris à Phœnix). Et alors que nous sommes en pleine discussion, le rickshaw-wala (conducteur) se retourne vers nous. Puis il regarde vers le ciel. Rien. Le ciel est clair, les étoiles brillent. Soudain, je comprends pourquoi le rickshaw-wala regarde en l’air. Som et moi arrêtons de parler. Il s’est mis à pleuvoir alors même qu’il n’y a pas un seul nuage dans le ciel. J’explose de rire. Une pluie sans nuage ; ce pays me les aura toutes faites.

Pour fêter Republic Day comme il se doit nous décidons d’aller nous asseoir derrière un de ces trolleys qui vend des burgars, sortes de sandwiches végétariens préparés dans un grand wok où l’on fait frire des beignets de pommes de terre. J’écoute Som me parler de la culture hindou et de la logique des castes. Pendant ce temps-là plusieurs enfants se sont mis à jouer avec une balle et de vieilles raquettes de ping-pong. Je regarde les enfants jouer de plus en plus près de nous et j’essaie de me concentrer sur ce que Som me raconte en sachant pertinemment que ces enfants qui jouent là pieds-nus n’ont qu’une seule envie : réussir à faire rebondir la balle sur la tête de mon interlocuteur. Je le vois venir, je partage cette blague avec eux, je les garde dans mon champ de vision. Ces mômes sont beaux comme tout et même si je fais semblant de ne pas le voir, je suis mal à l’aise à l’idée que leur quotidien c’est ce coin de rue dégueulasse. Leur beauté mérité mieux. Il me semblait qu’on leur avait garanti mieux il y a plusieurs décennies. Happy Republic Day !

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