Archive for January, 2010
Tout commence par une scène vécue au McDonald de Jalandhar. Je sais rien que cette phrase annonce tout un programme. Mais les Américains n’ont peur de rien. J’ai été invité ici par un ami qui doit être suffisamment familier avec la culture occidentale pour imaginer qu’un morceau de poulet frit va me faire plaisir. Il ne sait pas à quel point j’ai pu saliver en pensant à cette bouchée de poulet. Il y a bien des endroits qui vendent de la viande à Jalandhar mais lorsque je vois les morceaux de porc qui pendent à un croc sur le trottoir avec des centaines de mouches tout autour, je ne sais pas pourquoi, je me dis que je suis tout aussi heureux en étant végétarien. Moi végétarien, la vie est pleine de surprise.
Et donc nous sommes au Mc Do. Et je regarde ce qu’on peut commander : le choix est ridiculement maigre. Trois sandwiches sont affichés : le McVeggie, le McChicken et le McFish. Je demande poliment si je peux manger “non-vegetarian” c’est à dire carnivore (ahah) et il me dit que oui, que je suis l’invité et que je peux commander tout ce qui me fait plaisir. Alors je dis que je veux des frites du Coca et… une sauce barbecue ! Tout MacDonald qui se respecte doit bien avoir une sauce barbecue. Et en effet, ils en ont. 15 roupies rien que pour la sauce ! C’est le prix de trois voyages en rickshaw entre chez moi et l’université ! Nous nous installons et je propose à mon hôte un peu de sauce… Il me regarde étrangement et me demande si c’est végétarien. Je ris et dis : “oui, bien sûr”. Puis je suis pris d’un doute. Je regarde le petit pot. Ouf, oui, il y a bien le petit pictogramme vert qui signifie que le produit est végétarien.
Au Pendjab la société est coupée en deux : il y a les vege (prononcer vèdje) qui ne mangent pas de viande ni d’oeuf et il y a les non-vege (prononcer none vèdje) et qui osent. L’autre jour, une de mes collègues m’a dit qu’elle avait rapporté un plat non-vege. En fait, il s’agissait de minuscules morceaux de mouton et c’était tellement couvert d’épices que je n’en ai pas mangé plus qu’une bouchée.
Le vrai tabou c’est la viande de boeuf. Les exercices de mon manuel comportent énormément de référence à l’alcool (un verre de vin, quoi), à la cigarette (oui oui) et à la viande de boeuf. “Maman prépare un rôti”. Dans ces cas là je saute la page de peur que mes étudiantes ne se mettent à hurler au massacre. Sauf qu’il y a bien des gens qui mangent du boeuf en Inde, car après tout le pays compte plusieurs millions de Chrétiens, de Juifs et de Musulmans. Toutes ces communautés peuvent manger du boeuf sauf qu’ils le font en cachette.
Je n’arrive pas à me faire à l’idée que certains de mes amis n’ont jamais goûté à de la viande.
Hier j’ai trouvé le logo 100% Végétarien sur mon tube de dentifrice.
Ce matin, j’ai trouvé une notice dans un couloir de là où j’habite qui explique que tout produit “toxique” ou non-vege est interdit à l’intérieur du bâtiment. La notice fait mention aussi de l’interdiction d’apporter des oeufs.
Je n’arrive pas à comprendre d’où vient cet interdit : il semble que ce soit un mélange entre interdits religieux et habitudes culturelles. Lorsque je demande si c’est directement lié à la religion hindou on me répond que non et pourtant les Sikhs sont pour la plupart non-vege.
Pour terminer, je voulais vous montrer à quoi ressemble une belle assiette. Avec dans le sens des aiguilles d’une montre : le dahi, sorte de fromage blanc, le cheese, sauce dans laquelle flottent quelques morceaux de fromage, le paneer, et sa version alliée aux épinards (palek paneer) puis le subji (les légumes), le fameux dahl (sauce aux lentilles) et enfin le petit pot de green ketchup, qui n’a rien à voir avec la sauce tomate mais qui est une sauce un peu épicée (de type chutney). On mange le tout avec ces galettes (tchipati) en buvant du lassi, boisson à base de yaourt.
Bon app’
Nourriture typique du Pendjab
January 31st, 2010
Mardi 26 Janvier 2010. Il y a exactement soixante ans, la Constitution était ratifiée en Inde.
J’ai rendez-vous à 9h pour prendre le bus jaune qui va m’emmener avec tout un tas d’étudiantes au Stade municipal de Jalandhar. On peut voir des policiers partout, en particulier lorsqu’on approche du stade. Je discute avec la prof de danse qui accompagne le groupe d’étudiantes. Elle me parle du Pendjab et de cette tension séparatiste qui était très forte il y a une vingtaine d’année. Elle parle de terroristes et remercie les dieux de la paix qui règne désormais. Pendant un instant je me perds dans mes pensées et j’arrête d’écouter ma collègue. Depuis quelques jours je me suis lancé dans la lecture de la mythologie hindou. C’est fascinant.
Les premières histoires racontent les aventures des 10 avatars de Vishnu. Il a l’histoire du poisson qu’on appelle le Matsya, qui a sauvé le seul homme qui avait un cœur pur lors d’un déluge qui ressemble beaucoup à celui de la Bible. Les mythes hindous sont compliqués ; ils racontent souvent l’histoire d’hommes pleins de vices qui cherchent à tout prix à conquérir le paradis ou encore à devenir invincibles. Vishnu prend l’apparence d’un des protagonistes et se révèle au dernier moment pour punir ou récompenser le personnage principal. Le mot avatar vient de la langue sanskrit, une langue ancienne dont dérivent beaucoup de langues en Inde. Les mythes indiens sont particulièrement violents avec souvent des têtes coupées et des crises de colère imprévisibles de la part de ces héros tous plus méchants les uns que les autres.
Nous arrivons aux abords du stade. Les rues sont bloquées, il nous faut marcher jusqu’à l’entrée. La foule se fait de plus en plus massive. Je ne suis toujours pas habitué à la taille de la foule, et puis les gens n’hésitent pas à se serrer, à se coller et à se pousser. Les filles sont très nerveuses. Dans quelques minutes elles vont danser sur le terrain d’herbe jaune du stade devant tout ce que Jalandhar compte de personnalités. D’un seul coup alors que nous marchons vers la grosse scène qui supporte toutes les personnes importantes de Jalandhar, tout le monde autour de moi s’immobilise. L’hymne national. On ne bouge plus. On fait face au drapeau indien. Vert pour l’abondance, blanc pour la paix et orange pour la couleur du sacrifice. Un garde me demande d’arrêter de discuter. Il tient une sorte de cravache à la main. Plus tard, c’est lui qui dira aux gens d’applaudir au passage du ministre. Les filles partent se préparer, je file vers les tribunes officielles. Je regarde toutes ces “élites” et autres membres de l’administration : les tribunes sont entourées de gardes qui portent de vieilles armes automatiques. La prof de danse m’explique que sans carton je n’ai pas le droit de m’asseoir dans les tribunes officielles. Je lui dis de me confier sa caméra et que je la retrouve après le spectacle. Et je me faufile en souriant jusqu’à une chaise confortable tout près des karts d’où proviennent les verres de thé que l’on sert aux invités importants. Je crois que ma cravate a fait bonne impression.
La cérémonie commence. Je ne comprends pas les discours. Je n’arrive même pas à savoir où se trouve l’orateur car plusieurs micros ont été placés sur la scène (qui est d’ailleurs noire de monde) et je me trouve légèrement derrière les intervenants et face au reste des gens éparpillés dans les tribunes tout autour du terrain de foot.
Puis je regarde avec plaisir les démonstrations des écoles qui ont été invitées. Chaque collège de Jalandhar a préparé un numéro de danse ou des numéros où les élèves en uniforme, placés en ligne agitent des drapeaux aux couleurs du drapeau indien. La synchronisation étant parfaite et les élèves étant réunis par milliers sur le terrain, l’effet est garanti. Ce qui est amusant c’est de fixer du regarde l’élève qui connaît mal la chorégraphie ou qui est un peu plus rêveur que les autres et dont le drapeau se lève toujours en retard. Je regarde le préfet ou le ministre du Pendjab comme on l’appelle. Je l’ai rencontré à un dîner mondain organisé à KMV il y a plusieurs mois. Il est à l’aise. Il chuchote avec son voisin en se cachant la bouche. Comme la plupart des officiels à cette tribune il porte un turban, signe qu’il appartient à la communauté sikh.
Puis vient le tour de mes élèves. Elles portent toutes un saree blanc et une écharpe aux couleurs du drapeau indien. Derrière le plus gros du groupe quatre filles portent des drapeaux qu’elles agitent en rythme avec la musique. Une d’entre elle ne fait pas attention ou est trop paniquée à l’idée de danser devant des milliers de personnes et laisse son drapeau s’enrouler sur lui-même. Pendant ce temps je trempe mon biscuit dans mon thé sous les regards des gens assis autour de moi qui restent polis mais qui rêvent de me demander qui je suis et ce que je fais là. Et puis je crois qu’ils veulent savoir pourquoi je trempe mon biscuit de cette manière. (Mes amis rigolent toujours lorsque je fais ça).
Au loin, je peux voir des dizaines et des dizaines de personnes en uniforme qui se mettent en place. Ils commencent à marcher tout autour du terrain. Il s’agit de différents corps de l’armée. Ces hommes et femmes s’approchent lentement de nous. A l’avant du groupe les mouvements sont bien synchronisés et nets. Les uniformes sont marrons foncés. Il doit s’agir des militaires en exercice. Le deuxième groupe est composé des hommes encore en cours de formation puis vient un groupe de femmes puis un groupe d’adolescents puis d’adolescentes et c’est au tour d’un groupe de petites filles aux cheveux bien tressés qui portent une jupe et des chaussettes bien montées jusqu’aux genoux. Leur salut militaire est adorable. Alors que la foule autour de moi est comme endormie je ressens une émotion toute particulière. Je me sens bête mais je n’arrive pas à retenir un frisson en regardant cette cérémonie. Pendant un quart d’heure j’oublie le bordel ambiant qui berce ce pays et me laisse charmer par la rigueur de ce défilé et de ces petites filles qui marchent en rythme.
De retour à l’université je remarque que le drapeau a aussi eu droit à sa propre cérémonie ici. On peut voir des pétales de fleurs tout autour du mat. A la cantine nous avons droit à des pâtisseries qui baignent dans du sirop. Aujourd’hui il fait très beau et d’un seul coup c’est la chaleur qui revient. Lorsque je m’étais préparé ce matin j’avais mis mes gants achetés aux enfants du marché et maintenant je ne pense qu’à une chose c’est ouvrir les fenêtres pour laisser entrer la chaleur. L’hiver est passé. Les oiseaux sortent à nouveau. Et dire qu’il y a encore quelques jours nous étions assis autour d’un feu tous les soirs. Maintenant les jardiniers s’activent pour arroser la pelouse et les bacs remplis de roses pour que le campus reprenne tout son éclat. Je passe l’après-midi à lire sur un banc dans les jardins de l’université. Le tout sous les regards des filles qui vont et viennent dans le jardin.
Après avoir dîné, vers 21 heures j’embarque sur un rickshaw (de type vélo) en compagnie de Som, un collègue qui parle un très bon anglais (il a appris à Phœnix). Et alors que nous sommes en pleine discussion, le rickshaw-wala (conducteur) se retourne vers nous. Puis il regarde vers le ciel. Rien. Le ciel est clair, les étoiles brillent. Soudain, je comprends pourquoi le rickshaw-wala regarde en l’air. Som et moi arrêtons de parler. Il s’est mis à pleuvoir alors même qu’il n’y a pas un seul nuage dans le ciel. J’explose de rire. Une pluie sans nuage ; ce pays me les aura toutes faites.
Pour fêter Republic Day comme il se doit nous décidons d’aller nous asseoir derrière un de ces trolleys qui vend des burgars, sortes de sandwiches végétariens préparés dans un grand wok où l’on fait frire des beignets de pommes de terre. J’écoute Som me parler de la culture hindou et de la logique des castes. Pendant ce temps-là plusieurs enfants se sont mis à jouer avec une balle et de vieilles raquettes de ping-pong. Je regarde les enfants jouer de plus en plus près de nous et j’essaie de me concentrer sur ce que Som me raconte en sachant pertinemment que ces enfants qui jouent là pieds-nus n’ont qu’une seule envie : réussir à faire rebondir la balle sur la tête de mon interlocuteur. Je le vois venir, je partage cette blague avec eux, je les garde dans mon champ de vision. Ces mômes sont beaux comme tout et même si je fais semblant de ne pas le voir, je suis mal à l’aise à l’idée que leur quotidien c’est ce coin de rue dégueulasse. Leur beauté mérité mieux. Il me semblait qu’on leur avait garanti mieux il y a plusieurs décennies. Happy Republic Day !
January 29th, 2010
Une assiette de toasts luisants de beurre et une tasse de thé qui fume dans le froid du refectoire. Sans cette superbe pensée, je ne me serais pas levé ce matin.
Il fait trop froid et trop gris. Mon réveil affiche 13,5°C. Je n’ai pas envie de sortir de ma couette. Ces jours-ci Jalandhar est recouvert d’un intense brouillard qui rend la ville mystérieuse. (Je n’ai d’ailleurs jamais vu un brouillard aussi épais, même à Johannesbourg).
Sur le chemin, je remarque que les stands du marché ne sont pas installé. Je regarde ma montre et me rends compte que c’est la première fois que je passe aussi tôt, vers sept heures trente, sur ce chemin. Des enfants s’entraident pour tirer la bâche sur laquelle les chaussettes et autres vêtements en laine vont être présentés. Ma première pensée est triste. Ces gamins ont dix ans. Et c’est leur quotidien. Il fait froid ce matin, et la brume empêche le soleil de réchauffer les gens. J’ai même parfois l’impression qu’un nuage est tombé sur la ville. On grelotte tous de froid et ces deux gamins s’amusent à installer la boutique devant laquelle ils vont passer la journée à attendre un client et peut-être aussi un rayon de soleil. La petite fille est en train de crier sur un passant caché sous une couverture. Son frère s’impatiente et veut poser la bâche, alors il tire dessus. Et comme ça, ils commencent à s’amuser à tirer l’un et l’autre sur la bâche dont ils tiennent chacun un coin.
En ce moment mes cours se passent assez bien. Mes élèves commencent à assembler eux-mêmes les pièces du puzzle et sont capables de faire leurs propres phrases.
Dix heures, je vais boire un café. Dans les allées du campus, une femme m’interpelle :
“- Bonjour, Mr Quentin”. Après avoir crié mon nom, elle baisse d’un ton et commence à parler tout doucement. “Voilà, je viens vous voir car j’ai quelque chose d’assez personnel à vous demander. Je voudrais inscrire ma fille dans une école catholique… je me demandais si vous pourriez faire quelque chose pour moi auprès du prêtre, peut-être le rencontrer, rencontrer ma fille…” Je ne peux pas m’empêcher de sourire. C’est tellement typique du professeur dans une petite ville. Celui dont on respecte la parole et à qui on vient demander des conseils et de l’aide. Je ne m’en suis pas rendu compte mais j’ai un vrai rôle social dans cette communauté. On lit mes aventures dans le journal et on me dévisage dans la rue. “Je ne sais pas si je peux vous aider, je ne connais pas le prêtre personnellement. Je ne vais pas à l’église”. Elle a l’air surprise.
Après le dîner je rentre à la résidence. Il y a les gardes, un collègue professeur d’anglais et moi. C’est une habitude que nous avons depuis quelques jours, depuis qu’il fait froid. Nous sommes en cercle autour d’une grande soucoupe en métal dans laquelle nous empilons les branches de manguiers qui ont été entreposées derrière le garage à scooter par les jardiniers depuis plusieurs semaines. Vers 21h30, je décide de rentrer dans ma chambre. Les autres sont en train de parler des mangues qui abonderont dans les jardins en avril ou en mai et dont les gardes se gavent. Sur le chemin, j’imagine ces hommes qui se cachent derrière les bâtiments pour manger les fruits. Ils se cachent car ces fruits appartiennent à Doaba College. Quand j’y pense, ces gardiens appartiennent aussi à ce lieu. Ils arrivent très tôt le matin et repartent très tard le soir.
Au moment de longer le grand terrain de cricket je regarde les guirlandes de lumière installées sur le temple de l’autre côté de la rue. Il y a aussi plusieurs haut-parleurs qui dispersent de la musique. Et c’est à ce moment que le courant se coupe plongeant tout le quartier dans l’obscurité. La musique s’arrête net. Je ne m’étais pas rendu compte que le ciel s’était dégagé. Je regarde les étoiles. Elles se mettent à briller de plus en plus fort. J’en profite. Lorsque les lumières reviendront, elles disparaîtront à nouveau et je pourrai aller me coucher.
January 22nd, 2010
“Salut mon grand, de quoi parle t-on en ce moment en France ? De l’identité nationale. Quand j’étais à l’étranger au 14 juillet j’ai toujours été émue d’entendre la Marseillaise. Va donc savoir pourquoi…”
Message de ma grand-mère, 4 décembre 2009
La sonnerie retentit et je dis “à demain” à mes élèves. Je regarde le tableau blanc : j’ai énormément écrit aujourd’hui. J’ai les mains couvertes de craie. Je commence à effacer toutes les écritures. Mes élèves rangent leurs affaires et rejoignent le flot de filles dans le couloir.
Je regarde derrière moi. Une de mes élèves est toujours là. Elle a découpé un article dans le journal.
“C’est pour vous, Sir.” Il s’agit d’une photo et d’un article en hindi qui raconte les festivités de la veille. On me devine à côté de Madame la proviseur en train de lancer mes cacahouètes dans le feu.
“- Est ce que je peux vous poser une question, Sir ?
– Oui, bien sûr.
– Est ce que votre famille vous manque ? Moi si je devais vivre sans ma famille, je serais très malheureuse.
– Et bien… comment dire… en France la majorité des gens ne vivent pas avec leurs parents. ” Ma famille me manque beaucoup en vrai.
“- Sir, ça ressemble à quoi Paris ?
– Paris est une grande ville très vieille. Les bâtiments historiques comme Notre Dame cotaient les bâtiments haussmanniens qui se ressemblent beaucoup autour des grands boulevards et il y a aussi quelques éléments d’architecture moderne…” Quelle description froide. Comment raconter à mon élève ce que j’ai pu vivre dans cette ville. Une de mes amies à Paris a récemment écrit : “Paris est ralenti, je crois qu’elle a un peu le cafard ces derniers temps. Le brouillard et le froid sont constants et y’a pas grand monde dans les rues…”. Je ne sais pas pourquoi je me vois allongé sur les pelouses devant Saint-Eustache en été, puis à la terrasse d’un café en train de boire du rosé. L’UGC Les Halles un jour d’avant-première. La queue de la bibliothèque de Beaubourg, un Vélib garé en bas de Trévise et les packs de panaché à monter au cinquième étage les jours où il fait très chaud. Puis le soir, lorsque le soleil se couche, monter sur le toit pour apercevoir le sacré coeur…
“Paris a été fondé autour de l’île de la Cité, là où se trouve la cathéd…”. C’est ce qui manque à ces jeunes filles. Il leur manque une grande ville, un endroit relativement safe où elles puissent oser ce qu’elles veulent et sortir un peu de l’influence de leur famille. Un endroit où elles puissent faire des conneries le samedi soir et revenir à leur quotidien le lundi matin. Une ville où elles puissent voir des gens habillés différemment… bref ces jeunes femmes ont besoin d’un peu de superficialité.
“… mais je vous montrerai des photos.
– Thank you Sir.”
Même si j’essaie de ne pas y penser je sais que la France me manque. Je pense rentrer début avril. Encore quelques journées à passer à rêver d’un demi en terrasse.
Hemingway a écrit dans le roman Moveable Feast (dont j’ai trouvé un vieil exemplaire à la bibliothèque) :“If you are lucky enough to have lived in Paris as a young man, then wherever you go for the rest of your life, it stays with you, for Paris is a moveable feast.”
January 19th, 2010
J’arrive à l’université avant tout le monde. Je file vers le réfectoire. Panlos, le jeune garçon qui travaille dans les cuisines m’apporte une tasse et un thermos. Il a toujours l’air perdu dans ses pensées. Il n’a même pas remarqué que je porte des vêtements typiques du Pendjab.
J’arrive en classe, mes élèves s’exclament “Happy Lohri Sir”. Mes élèves n’ont pas envie de travailler. Elle préfèrent m’expliquer que cette fête existe partout en Inde, mais a commencé au Pendjab et c’est ici qu’elle est le plus célébrée. Le principe c’est que tout le village se retrouve autour d’un grand feu sans distinction de caste.
Vers 12h30, je suis dans la salle des profs, installé confortablement avec les chefs du département d’anglais. Binassa, une des junior teacher arrive. Elle me regarde avec complicité, elle comprend que je m’ennuie ic et que je n’aime pas passer des heures ici à écouter ces professeurs et à sourire de façon forcée. Elle demande la permission de m’emmener pour l’aider. Les senior teachers se regardent et semblent dire “oui”. Nous sortons, et elle me glisse que mes manches ne sont pas boutonnées correctement. Nous rejoignons d’autres jeunes professeurs et commençons la tournée de distribution des cacahouètes. Déjà au milieu du grand jardin les élèves ont commencé à s’installer. La proviseur sort de son bureau, entourée d’un cercle de professeurs. Elle va s’installer à la tribune, qu’il va falloir que j’évite si je veux pouvoir m’amuser cet après-midi.
La cérémonie commence par un discours d’une des professeurs d’hindi. Puis nous regardons une danse traditionnelle. Les élèves s’éclatent sur scène. Elles portent les costumes traditionnels aux couleurs très vives. Leurs manières, leurs expressions sont exagérées, elles apportent des pots en terre et des bâtons et se mettent à mimer les activités traditionnelles du Pendjab en chantant en choeur et en agitant les bras. C’est assez drôle.
Après une heure de discours, de chants et de danse, la proviseur accompagnée des professeurs les plus éminents se lève pour allumer le bûcher central. A côté ont été placés trois grands pots qui continent des petits morceaux de sucres enrobés de sésame et d’autres friandises. Madame la proviseur se sert dans chacun des bols et jette au feu des cacahouètes et du pop corn, le tout sous les flashs du photographe. Une des senior teachers vient me chercher et j’imite la proviseur. Puis ce sont tous les professeurs qui se lèvent de leur chaise pour venir m’accompagner. Nous tournons autour du brasier en lançant toutes ces friandises sous les regards des centaines d’élèves massés autour de nous. Quatre autres petits feux sont aussi allumés et les élèves se mettent à faire comme nous. Une vieille professeur de Pendjabi vient me voir et me prend les mains. Elle me parle avec une gentillesse extrême. Sa peau est toute tirée, elle doit être très vieille. Impossible de comprendre ce qu’elle veut me dire mais son ton de voix traduit une vraie sympathie et je crois qu’elle me souhaite plein de bonnes choses.
Le DJ qui était installé dans le coin de la pelouse commence à jouer une chanson en hindi et ce sont des centaines de jeunes filles qui accourent en levant les bras. Les professeurs se retirent vers l’espace où les chaises sont disposées et je commence à faire de même. Puis Binassa et d’autres jeunes professeurs viennent me voir. L’une d’entre elles me prend par la main et m’emmène danser près du feu. En quelques minutes, je suis mort de chaud. Les jeunes filles hurlent, sautent et bougent dans tous les sens. Le photographe ne rate pas l’occasion : le professeur de Français danse avec ses élèves. Je suis au centre d’un grand cercle et beaucoup de regards sont posés sur moi. Pour ne pas y penser je regarde et imite mes collègues qui ont d’ailleurs un large sourire sur les lèvres. Parfois je me retourne vers la tribune. La proviseur me regarde avec gentillesse et semble approuver. Parfois lorsqu’elle reconnait une chanson elle se lève et tape dans les mains.
Nous continuons comme cela pendant plusieurs heures. Lorsque j’ai trop chaud je vais m’asseoir pour manger quelques cacahouètes mais très vite on vient me chercher pour continuer de danser. Les feux brûlent au maximum de leur intensité, il est impossible de rester trop près et je regarde les filles ouvrir d’autres paquets de cacahouètes pour les jeter dans les flammes.
Vers 16 heures la plupart des professeurs commence à partir. Je ne veux pas rester seul avec ces centaines de filles. Je commence à me diriger vers l’extérieur de la masse. C’est là que le photographe me demande de poser avec quelques élèves. J’accepte et soudain des dizaines de filles demandent à pouvoir poser avec moi. Je suis encore une fois très gêné, surtout que ça dure plusieurs minutes. Ensuite j’explique que je dois y aller. En rentrant, j’ai mal aux pieds. J’ai des dizaines de sachets de cacahouètes posés sur mon bureau. Dehors je peux entendre de la musique et des feux d’artifice.
Vers 20h un collègue vient me chercher pour aller dîner. Nous prenons un rickshaw et marchons le long des allées du campus. Les feux au milieu de la pelouse sont toujours allumés mais il ne reste plus que des cendres et de gros troncs qui brulent calmement. Je repense à la cheminée chez mes parents et les chats qui dorment au bord. Nous restons là à nous réchauffer quelques minutes puis nous nous dirigeons derrière le batiment principal, vers la cantine. Et juste derrière le coin de ce batiment nous tombons nez à nez avec un immense groupe d’élèves à genoux autour d’un vieil homme. J’enlève mes chaussures et me joins au groupe. Ce sont les élèves de l’internat, elles ont une cérémonie spécialement pour elles. Je me rends compte que Madame la proviseur est juste devant moi, assise par terre. Le prètre me voit et sourit, il doit être un peu surpris que je me joigne à la cérémonie. Une des wardens (surveillante de l’internat) m’accueille au sein du groupe en souriant. Le prêtre détache des pétales de rose et les lance sur nous. Il raconte quelque chose et chante un peu aussi. J’adore ce moment, j’adore me demander ce que je fais ici. Ce moment que je n’avais pas prévu est d’un charme énorme. Derrière nous je peux voir les hommes qui travaillent dans la cantine. Ils observent la scène depuis un coin sombre. Certaines filles se lèvent au dessus du groupe pour me regarder. J’imagine les histoires que le prètre raconte. Des histoires de petits villages perdus au fin fond du Pendjab où les gens vivent comme il y a cent ans. J’imagine un lieu coupé du monde où les jeunes ne viennent pas de France pour danser près du feu. D’un seul coup j’ai l’impression de faire partie de la vie de ce petit village. Un autre bucher a aussi été installé ici. Lorsque Madame se lève pour l’allumer, elle me prend la main et me fait signe de l’accompagner dans son geste. Les filles se sont levées et applaudissent. Elles sont contentes que je sois là. Moi aussi.
January 14th, 2010
J’ai cours dans cinq minutes à l’autre bout du campus. Je vais être en retard. Je suis debout à côté du jardin qui occupe l’espace central du campus. Toute l’université est en pleine ébullition. Plusieurs hommes sont occupés à installer le socle en briques sur lequel va être brûlé une grande pile de bois demain. On va célébrer Lohri, la fête de l’hiver, qui est une fête très populaire au Pendjab, et c’est d’ailleurs pour ça que ça fait trois jours que je mange des cacahouètes (le lien logique n’est pas évident, mais en fait c’est la tradition). Tout à l’heure, dans la salle des professeurs, mes collègues comptaient les centaines de billets de 10 roupies qui ont été donnés par les élèves. Certains professeurs ont mis 500 roupies. Je crois que ça va servir à payer pour l’énorme buffet qu’on va tous partager.
J’ai faim. Une heure avant de passer à table, je peux sentir les odeurs d’épice dans l’air. Parfois j’ai l’impression que l’odeur vient de quelque part près de moi, tellement elle est forte.
Je file à la bibliothèque. Quatre collègues m’interpellent. Elles me demandent de me joindre à elles pour manger un morceau. Il s’agit de quatre de mes collègues préférées : ce sont les junior teacher, professeurs d’anglais qui ont presque mon âge. Tout le monde sort ses petites galettes (tchapati) de leur emballage et les place au centre de la table, je vais vraiment être en retard :
“- Alors, Quentin, qu’est ce que tu comptes mettre demain ?
– Je ne sais pas encore. Pourquoi ? Il faut s’habiller d’une certaine façon ?
– C’est Lohri ! Nos classes de l’après-midi sont annulées…
– Quentin, tu devrais mettre ta longue kurta
– Oui, tu peux même porter ton écharpe qui va avec…
(Puis elles se disputent pour savoir si je peux mettre l’écharpe ou non)
– Ils ont installé les sièges devant la scène. Je suis sûre que Madame la Principale va te demander de t’asseoir avec elle juste devant la scène.
Je peux être sûr que demain je vais être observé encore plus que d’habitude.
Je m’excuse avec un large sourire : “Désolé mes élèves m’attendent” et sors de la salle. Puis je monte dans ma salle de cours. Les élèves se tiennent debout. Je leur demande de s’asseoir et nous commençons la leçon. C’est la prononciation qui leur pose le plus de problèmes, alors j’en fais des tonnes, j’articule un maximum, jusqu’à en avoir mal à la gorge.
Une fois rentré je sors mes vêtements traditionnels indiens et les dispose bien à plat sur une chaise pour qu’ils ne soient pas trop froissés. Je me demande comment les hommes font pour être à l’aise dans cette robe. Demain va être une journée de folie. J’en suis sûr.
January 13th, 2010
– Mardi, dans l’avion entre Bangkok et Delhi, j’ai été surpris par le ton d’un Indien qui parlait très fort et très mal à une hôtesse de l’air. Il demandait à être servi avant les autres. J’étais surpris car je m’étais habitué au ton plus calme des Thaïs. Mercredi matin, j’ai visité un peu Delhi. Plus je découvrais de nouveaux lieux, plus je me disais que ça me prendrait un temps fou pour bien connaître cette ville. Depuis plusieurs mois, Delhi change, s’embellit en préparation des Jeux du Commonwealth qui se teindront en novembre. Mercredi soir, j’attends pendant cinq heures mon train. Je m’occupe en regardant tout ce qui se passe autour de moi. Puis je me presse près du guichet qui sert à manger. Les gens se poussent, se tassent, tendent le bras pour demander un sandwich. Au bout de quelques minutes, j’ai beau être devant tous les autres, je n’ose toujours pas hausser le ton pour demander ce que je veux. Puis je crie au point de me surprendre moi-même “Burger with ketchup”. Il me sert le petit pain avec le pavé de pommes de terre, prend mes 20 roupies et je sors de la masse en essayant de ne pas renverser la sauce, tout fier de moi.
– Jeudi, après 12 heures dans le train, j’arrive avec mon sac en bandoulière et ma barbe à l’université. Les gardiens voient ma silhouette se former à travers la brume. Après trois semaines de vacances, ils m’accueillent en me prenant dans les bras. Pourtant je n’ai jamais réussi à échanger plus de trois mots avec ces hommes. Juste des sourires et des poignées de main.
– Vendredi, je décide de ne pas me raser. Du coup, j’ai droit à plein de commentaires de la part de tous mes collègues. Mes élèves ont très peu travaillé pendant les vacances. Je suis surpris d’entendre des “Bonne année”…
– Samedi,la brume disparaît un peu et il fait moins froid. Un de mes collègues me demande si ça m’arrive de boire de l’alcool. Lorsqu’il en parle, j’ai l’impression d’écouter un enfant, tellement il a l’air excité a l’idée que je dise ‘oui’. L’alcool n’est pas dans les moeurs. J’essaie d’expliquer gentiment que c’est assez commun de boire un peu d’alcool pendant le repas ou en apéritif. Mais comment expliquer ça à des gens qui associent l’alcool à un comportement déviant.
– Dimanche, je passe la plupart de la journée sans électricité. Jusqu’à ce que le gardien décide d’allumer le générateur. Bon sang, qu’est ce qu’on s’ennuie sans électricité. Je me fais bouillir un peu d’eau pour boire du thé. Dans ma tasse je peux voir des flocons de calcaire qui flottent. Le soir, je suis surpris du goût délicieux des plats qu’on nous sert à la cantine. Puis une de mes élèves vient me voir et me demande si j’ai aimé le dalh jaune. Et elle m’explique que tous les jours de la semaine nous avons les mêmes plats en boucle et que le dimanche c’est le dalh jaune. Je ne m’en étais pas rendu compte. J’ai l’impression d’être vraiment très bête.
En repartant vers ma chambre, je m’arrête avec les gardiens. Je regrette tellement de ne pas parler plus hindi. Ils sont tous les quatre assis autour d’un feu qu’ils alimentent avec de vieux meubles récupérés derrière les salles de cours. Je les écoute parler, sans comprendre quoi que ce soit. On est bien là près du feu dans la quasi obscurité. Nous portons tous un lohi, sorte de couverture qui sert à nous réchauffer un peu mais dont la couleur marron est déprimante. Il y a dans leurs rires et leur conversation quelque chose de reposant. Ces hommes vont passer la nuit sur ces chaises en plastique à surveiller le campus près du feu.
– Lundi, je raconte la même histoire de France sous la neige à tous les Indiens qui veulent l’entendre. J’en fais des tonnes. Ils m’écoutent les yeux écarquillés. “Et donc lorsqu’on marche on glisse sur des plaques de givre. C’est très dangereux… et les camions ne peuvent plus circuler”… J’en rajoute un peu en disant que le pays est bloqué… Mais bon, toute cette neige, ça les fait un peu rêver. Ici le ciel est d’un blanc imperturbable et fatiguant, vivement la chaleur. Lorsque je dis ca a un de mes collegues, il me regarde comme si j’étais fou…
January 11th, 2010
Mais pourquoi tous les hommes que je croise le matin s’attachent-ils autant à me serrer la main ? Il glisse leurs doigts contre les miens et sans serrer la poignée agitent le bras en riant, comme s’ils n’avaient jamais fait ce geste auparavant. C’est très étrange. Certains se détournent de leur chemin juste pour venir me serrer la main. Est ce que je suis en campagne électorale sans le savoir ?
En théorie, se serrer la main n’est pas une habitude indienne. Et sur beaucoup de choses on se perd entre ce qui est une pratique culturelle propre et ce qui est entré dans les moeurs petit à petit avec l’ouverture sur le monde ou la colonisation anglaise. Par exemple pour les hindous, c’est diwali qui marque la nouvelle année. Pour me faire plaisir ils me souhaitent tous “Happy New Year” en ce moment alors qu’ils se le sont dit entre eux en octobre pour la fête des lumières.
Vers 10h, deux professeurs plus âgées que moi m’appellent et me proposent de venir prendre le thé avec elles. J’aime bien leur sari, je trouve que ça leur donne un charme fou. Rien que de réussir à bouger dans ses longs morceaux de tissu, ça doit être difficile. Une d’entre elle sort un billet de 20 roupies et le donne à une servante. Ca servira à payer le thé. Nous nous installons dans la salle des professeurs. Ces deux senior teachers enseignent l’anglais et il est naturel pour elles de parler anglais, mais je ne peux pas m’empêcher d’imaginer que nous sommes en train de reproduire un schéma typiquement anglais. Les petites phrases, les sourires un peu faux et les messes basses. Je suis sûr que ces dames adorent ces moments passés à commenter la vie de l’université en sirotant le thé. Puis la servante arrive, elle rend la monnaie du thé qu’elle est allée acheter à la cantine et elle sert quatre verres. Le sien elle ira le boire dehors, seule. J’adore lui sourire. Certains des autres professeurs ne l’aiment pas car elle fait montre d’un peu d’emportement parfois et ose lever les yeux. Jamais avec moi en tout cas. Le matin, elle me dit toujours un adorable “Namasté, Sir” avec un beau sourire et j’ai même parfois l’impression qu’elle m’a attendu, appuyée sur le mur plusieurs minutes, juste pour être sûre de pouvoir me saluer.
Un jour, un de mes collègue m’a raconté une histoire assez différente de ce qu’on peut entendre habituellement concernant les Anglais. Son grand père vivait près d’un superbe canal dans une des régions en Inde où la faune et la flore sont les plus originaux. Tous les jours, un soldat de la couronne venait surveiller que personne ne vienne jeter quoi que ce soit dans l’eau. Puis après l’indépendance, le soldat n’a pas été remplacé. Le lieu est tout simplement devenu une porcherie où les gens sont venus jeter leurs ordures. Il y a parfois dans le discours des Indiens une once de doute sur ce que serait le pays si les Anglais étaient toujours là. Et il n’est pas facile de comprendre là où se trouve leur propre fierté ou la copie des schémas de la haute société anglaise. Les rails et autres infrastructures ferroviaires sont en grande partie héritées des anglais, ce qui mène toujours à se demander dans quelle mesure la colonisation a marqué les esprits. Et parfois j’ai le sentiment que les Indiens ont l’impression de bien se tenir lorsqu’ils copient ce qu’ils pensent être la façon de se tenir des Anglais. Et bien entendu cela passe énormément par la langue. Je suis persuadé que le fait de ne pas pouvoir parler Anglais est une grande frustration pour beaucoup d’Indiens dans la mesure où cette langue (qui n’est la langue maternelle de quasi-personne) est synonyme d’un certain niveau d’éducation. L’Inde souffre toujours d’un sentiment d’infériorité par rapport à ces anciens colonisateurs, qui même après leur départ, laissent une empreinte forte sur l’imaginaire collectif.
January 10th, 2010
Je suis dans ma chambre en train de lire. L’eau est en train de commencer à bouillir et j’ai pas trop froid grâce au petit chauffage que je me suis acheté pour 2 euros. Et bam. Tout s’éteint. Plus de lumière, plus de chauffage, plus de thé… je regarde ma montre. Il est exactement 16h00. L’heure fatidique à laquelle les autorités coupent l’électricité dans mon secteur.
D’un seul coup la température se met à chuter, plongeant en dessous des 15°C. Alors je décide de mettre mon manteau, mes chaussures et d’aller voir ce que font les étudiants qui logent dans mon bâtiment. Ca tombe bien car ils sont tous dehors, devant ma chambre, en attendant que le gardien allume le générateur. Je m’approche. Ils se mettent tous à sourire et se font super accueillant en me demandant comment étaient mes vacances. Puis petit à petit, ils en viennent à parler de leurs études et de leurs idées de carrière. Ils me demandent ce que j’étudie en France. Certains connaissent quelques mots et s’entraînent. C’est étrange de les voir se pencher les uns sur les autres et de les voir se tenir la main.
Puis vient la question qui les intéresse le plus et qu’ils ont dû gardé dans leur poche depuis des semaines :
“- Sir, do you have a girlfriend?
– Ahahahha… Euh. No, I don’t
– But why Sir ?”
Pour tous ces jeunes adultes c’est une obsession. Quelque chose qu’ils ont constamment en tête. C’est fou. Puis un d’entre eux fait une remarque en disant que j’ai l’air “smart“. Puis un autre renchérit en disant que je suis élégant. Je me mets à rougir. Ils sont de plus en plus nombreux à se tenir autour de moi. Le gardien passe en se demandant ce qui se passe, mais tous les regards sont tournés vers moi et les commentaires continuent de fuser. J’essaie de ne pas montrer que je suis gêné. Je souris, je ris bêtement. Le gardien passe dans l’autre sens. L’électricité fonctionne à nouveau. L’un d’entre eux me dit que le groupe va sans doute aller voir le temple, car vers 16h c’est l’heure où les demoiselles viennent également se promener. Je dis que j’ai du travail et je le regarde s’éloigner, tous plus excités les uns que les autres. Je les aime bien ces jeunes hommes. Ils sont sympathiques. Et puis sans m’en rendre compte, ils m’ont apporté de la chaleur.
January 9th, 2010
Retour à Jalandhar !
C’est avec 5 heures de retard que le train Shatabdi (c’est à dire express) est arrivé à Delhi. Il a ensuite mis 12 heures à pour relier Delhi avec Jalandhar (au lieu de cinq heures).
Il est donc neuf heures du matin lorsque j’arrive à Jalandhar. Ma première impression : il fait super froid et toute la ville est enveloppée d’un épais brouillard. Le chauffeur de rickshaw n’a aucune visibilité et les rues sont pleines de petits groupes d’Indiens qui se chauffent comme ils peuvent autour d’un feu. J’arrive avec mon sac sur l’épaule et mon bronzage vers la porte de l’Université, pas rasé et pas lavé depuis plusieurs jours. J’imagine les gardiens qui voient ma silhouette apparaître progressivement dans le brouillard. Puis ils se mettent à crier et à rire en me reconnaissant. “Hé, je suis content de vous revoir aussi”… Pas très convainquant.
Je suis assommé par la pensée qu’il y a quelques jours j’étais sur une plage en Thaïlande, mort de chaud. Ces vacances m’ont fait du bien mais le retour à la réalité indienne est bien difficile. Je me retrouve à trinquer avec ma petite tasse de thé dans le minuscule bureau glacé de la réceptionniste. Elles me parlent de leurs vacances sans réel intérêt… elles regardent mes photos en commentant le moindre détail.
J’ai l’impression d’avoir clos un chapitre de mon expérience. Trois mois sont passés et ces deux semaines en Thaïlande m’ont permis de faire un break et de renouveler mon Visa. Me voilà de retour, mais mes pensées sont ailleurs. Je suis encore sur mon petit bout de colline à regarder le coucher du soleil avec Laura. Je ne peux m’empêcher de penser à mon expérience sur l’île de Ko Phangan : tous les jours le même rituel, déjeuner, plage, diner, plage, conversation près du feu. J’ai rencontré des gens qui étaient venus pour les vacances et qui ne sont jamais rentrés chez eux… préférant rester sur la plage.
Sur la Plage de Ao Mae Haad, Ko Phangan
Et puis petit à petit, malgré ma mauvaise humeur générale à cause du froid du Pendjab, je me laisse aller aux sourires des gens autour du campus. Ils sont si contents de me revoir. Comment résister ? A table, je peux entendre mon nom dans toutes les bouches. Une dame montre mes cheveux et me dit qu’elle n’aime pas ma nouvelle coupe, que j’ai l’air trop jeune. Alors je souris tout en étant légèrement ennuyé d’être constamment le centre des commentaires des gens. Mais voilà, même en mon absence les journaux ont publié des articles sur moi. Une de mes élèves les a consciencieusement découpés et rangés dans une enveloppe.
Pendant les deux dernières semaines, j’ai eu une impression de mouvement extraordinaire, comme la planète entière était mon espace de jeu et que je pouvais passer de Delhi à Bangkok facilement, faisant de chacun de ces lieux un nouvel espace à découvrir. Se déplacer en train, en bateau, en avion, tout cela semblait facile. Puis sur les plages du sud de la Thaïlande, j’ai dansé comme un fou le soir de la Full Moon Party qui coïncidait avec le soir du 31 décembre. Imaginez 50 000 personnes sur une plage avec une dizaine de DJ et beaucoup d’alcool…
Soir de la Full Moon Party - avant de mettre la peinture fluo sur le visage
Bref c’est un nouveau chapitre qui s’ouvre. Il me reste trois mois pour apprendre l’hindi, visiter les milliers de villes toutes bien différentes de Jalandhar et réussir à comprendre un peu ce pays qu’il faut que j’arrête de définir comme bordélique.
January 8th, 2010